DESCARTES (1)
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INTRODUCTION
On fait généralement remonter à Descartes le commencement
de la modernité philosophique (par opposition à la philosophie
antique et médiévale), cela en raison des nombreuses "révolutions"
qu'il introduit en philosophie : la primauté du sujet (du je pense),
la conception mathématisée de la nature, , l'idée
de fondement en philosophie… Nous essaierons ici d'indiquer dans leurs
grandes lignes la méthode cartésienne (qui est inséparable
de la philosophie même) et sa métaphysique. La première
est exposée dans les Règles pour la direction de l'esprit
et la seconde dans les méditations métaphysiques.
Nous étudierons donc successivement :
I. Les
Regulae ou la découverte de la méthode
-
Le problème historique
de Descartes
A l'époque où Descartes commence à écrire,
le panorama philosophique est totalement éclaté. C'est la
fin de la période scolastique, et la philosophie est divisée
en des dizaines d'écoles qui s'affrontent sans cesse, et surtout
de manière stérile, car il semble qu'aucune d'entre elles
ne soit capable de prendre le pas sur les autres. Bref, la philosophie
est incapable de fournir une réponse assurée et certaine
à quelque problème que ce soit.
Descartes entreprend donc de renouveler entièrement la philosophie,
de telle manière qu'elle puisse produire des connaissances certaines
et assurées. Reste à savoir comment cela pourrait être
possible, quelle méthode adopter pour acquérir de
telles connaissances.
-
Le modèle mathématique
Pour découvrir cette méthode, Descartes va chercher s'il
n'existerait pas déjà un domaine du savoir humain dont les
connaissances soient absolument certaines et incontestées. Or, les
mathématiques semblent bien être une science assurée
: il n'y a pas en mathématiques de désaccord comme en philosophie.
Les connaissances mathématiques sont incontestées et tout
à fait assurées. Si nous pouvions découvrir ce qui
fait la certitude des mathématiques, nous pourrions l'appliquer
à d'autres domaines du savoir, en particulier la métaphysique,
qui produirait alors des thèses dont la certitude serait égale
aux thèses mathématiques.
Or, en quoi consiste la méthode mathématique ? Pour Descartes,
essentiellement en deux choses : l'intuition et la déduction.
L'intuition, c'est l'opération de l'esprit par laquelle nous acquérons
la connaissances des premiers principes. Ainsi, si nous pouvons dire que
par deux points distincts ne peut passer qu'une et une seule droite, c'est
que nous en avons l'intuition, d'une certaine manière nous le voyons
par les yeux de l'esprit (de fait, "intuition" vient de "intueor" qui signifie
"voir"). Mais cette intuition est une intuition intellectuelle, pas sensible.
En effet, par les yeux du corps, nous pouvons bien voir deux points, et
nous pouvons bien essayer de tracer plusieurs droites entre ces deux points.
Mais pour pouvoir dire que "par deux points distincts ne passe qu'une et
une seule droite", il faudrait avoir fait la même expérience
avec toutes les configurations de points possibles et tracer toutes les
droites possibles. Alors seulement, nous serions certains que ce principe
est toujours vrai. Or, c'est impossible, ce qui prouve bien que notre connaissance
des principes n'a pas une origine sensible, mais purement intellectuelle
: nous savons que par deux points distincts ne peut passer qu'une seule
droite, quand bien même nous n'aurions jamais vu de point ou de droite
: c'est ce que descartes appelle une idée innée. L'intuition
intellectuelle nous fournit donc la connaissance des premiers principes,
et ce qui caractérise l'intuition, c'est l'évidence, l'indubitabilité.
Ainsi est-il évident que par deux points distincts ne passe qu'une
seule droite, je ne peux pas en douter.
Une fois que je dispose de connaissances intuitives et évidentes,
je pourrai m'en servir comme briques pour bâtir tout l'édifice
de la connaissance. La déduction est l'opération par laquelle
je produis des connaissances complexes à partir d'autres connaissances
plus simples, comme lorsque l'on fait une démonstration mathématique
à partir d'axiomes. Or, si les principes intuitifs sont évidents
et si les déductions dans lesquelles on les utilise sont rigoureuses,
alors les conclusions des déductions doivent être aussi évidents
et certains que les intuitions elles-mêmes.
Nous avons donc trouvé ce qui fait la force des mathématiques
: partir de principes intuitifs les plus simples et les plus évidents
possibles, puis, par déductions successives, accroître le
domaine de nos connaissances. C'est en appliquant cette méthode
aux autres sciences, et particulièrement à la métaphysique
que nous pourrons leur procurer le caractère de certitude et d'indubitabilité
qui caractérisait jusqu'à présent les mathématiques.
II. La métaphysique
de Descartes
-
Le doute méthodique
Disposant à présent d'une méthode rigoureuse, Descartes
peut analyser les raisons pour lesquelles la métaphysique n'a jamais
jusqu'alors acquis la certitude des mathématiques : c'est que les
métaphysiciens se sont toujours appuyés sur des principes
simplement probables, et pas indubitables. Or, même s'il y a peu
d'erreurs au niveau des premiers principes, ces erreurs, si faibles soient-elles,
vont s'ajouter les unes aux autres au fur et à mesure que l'on déduira
de nouvelles connaissances, jusqu'à produire des connaissances totalement
incertaines et erronées.
Il est donc essentiel que l'on reparte à zéro, que l'on
oublie tous les principes que l'on croyait connaître et qui n'étaient
que probables et pas évidents, afin de trouver de nouveaux principes
qui eux soient absolument certains, évidents, indubitables et à
partir desquels on pourra bâtir une nouvelle métaphysique
qui aura la même valeur que les mathématiques.
Or, le meilleur moyen de découvrir de tels principes, c'est de
faire le ménages par le vide : cette opération, Descartes
va la nommer le doute méthodique. En effet, il va passer
en revue toutes les connaissances que les hommes tiennent généralement
pour acquises, et pour chacune d'entre elles, il posera la question : cette
connaissances est-elle absolument indubitable, ne pourrait-on pas imaginer
qu'elle soit fausse ? Puis, il considèrera que toutes les connaissances
qui ne sont pas absolument indubitables n'ont aucune valeur, et il les
rejettera.
Il commencera par rejeter toutes les connaissances qui viennent des
sens. En effet, lorsque je juge en fonction de ce que je vois, on pourrait
très bien imaginer que je ne suis qu'en train de rêver, ou
encore qu'un malin génie possédant des pouvoirs magiques
provoque chez moi des sortes d'hallucinations, de telle sorte que j'ai
l'impression de voir des choses là où en fait il n'y a rien.
A la limite, le monde pourrait très bien ne pas exister, et je pourrais
le rêver, l'imaginer... Il faut donc faire comme si le monde n'existait
pas et rejeter comme sans valeur tout ce que nous croyions savoir à
son égard.
Pourtant, même si le monde n'existait pas, il n'en demeurerait
pas moins que 2+2 feraient toujours 4 ou que la somme des trois angles
d'un triangle serait égale à 180°. Il semble donc que
les vérité mathématiques, qui ne dépendent
pas, comme nous l'avons vu, de l'expérience et de la sensation,
gardent toute leur valeur. Or, il n'en est rien, car Descartes va pousser
encore plus loin le doute méthodique, en imaginant qu'un dieu trompeur
nous illusionne et nous fasse croire que 2+2=4 alors qu'en fait 2+2=3 (après
tout, il nous arrive parfois de nous tromper dans un calcul sans nous en
rendre compte, et ce pourrait très bien être toujours le cas).
Les mathématiques n'échappent donc pas au doute méthodique,
il faut les abandonner aussi.
-
Le cogito et la chaîne
des déductions
Dès lors, va-t-il seulement rester un seul principe parfaitement
indubitable auquel se fier ? Descartes en découvre un alors qu'il
a abandonné tout le reste : le cogito qui s'énonce ainsi
: "Je pense donc je suis". En effet, alors même que l'on doute de
tout, on ne peut pas douter que l'on doute, et par conséquent, on
ne peut pas douter que l'on pense. Or, il n'y a pas de pensée sans
quelques-uns qui pense. Ainsi, au moment même où je doute
de tout, je ne peux pas douter que je suis. Le moi, l'ego, le cogito est
donc la première évidence, le premier principe indubitable
à partir duquel Descartes va essayer de reconstruire tout l'édifice
de la science (y compris les mathématiques). Cela va se faire par
une série de déductions :
-
L'âme substantielle. Après avoir démontré
que nous existons (en tout cas que nous existons à chaque fois que
nous pensons, car pour penser, il faut exister), Descartes cherche à
comprendre ce que nous sommes exactement, nous qui pensons. Or, il est
évident que nous avons une multitude de pensées différentes
(doute, désir, imagination…), et pourtant, il n'en est pas moins
évident que toutes ces pensées sont mes pensées,
elles ne sont pas dispersées et indépendantes les unes des
autres mais forment une unité. Mais qu'est-ce qui assure l'unité
de mes multiples pensées ? Pour Descartes, il ne peut s'agir que
d'une substance. Ainsi, lorsque nous apercevons un morceau de cire,
celui-ci peut changer sous l'action de la chaleur, changer de forme, de
couleur… et pourtant nous reconnaissons bien qu'il s'agit toujours du même
morceau de cire, parce qu'il y a quelques-uns qui demeure derrière
ses multiples apparences : cette chose, c'est la substance. Il en va de
même pour l'âme qu'il faut bien penser comme une substance,
quelque chose qui demeure sous la multiplicité des pensées
particulières et qui est la cause de ce que nous les reconnaissons
toutes comme nos pensées. D'autre part, nous avons vu que
nous pouvions douter de l'existence de toutes les choses matérielles
: pour connaître que nous sommes et que nous pensons, nous n'avons
à aucun moment besoin de faire intervenir les choses matérielles
(que Descartes appelle "étendues" parce qu'elles existent toujours
dans l'espace à trois dimensions). Les pensées ne situent
pas, elles, dans l'espace, elles ne se produisent pas dans un lieu déterminé,
elles n'occupent pas de place. Par conséquent, si l'âme est
une substance, elle ,n'est pas une substance étendue (comme le morceau
de cire), mais une substance pensante.
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L'existence de Dieu. Nous savons donc que nous sommes et ce que
nous sommes : des substances pensantes. Mais pour l'instant, nous ne sommes
pas encore sortis de nous mêmes, nous ne reconnaissons rien des objets
en dehors de nous, nous ne savons même pas s'ils existent. Descartes
va franchir ce pas en démontrant l'existence d'un objet en dehors
de nous : Dieu. Il utilise trois démonstrations différentes
de son existence :
-
la preuve par l'infini. Nous avons en nous, parmi nos multiples
pensées et idées, l'idée de Dieu, c'est à dire
l'idée d'un être dont l'entendement, la volonté… sont
infinis. Or, pour avoir des idées, il faut qu'elles aient une cause,
ainsi, pour avoir l'idée de cheval, il faut que j'ai vu un cheval…Mais
quelle peut être la cause du fait que j'ai l'idée d'infini
en moi ? Elle ne peut venir des sens, car tout ce que je peux sentir est
fini, limité. Elle ne peut non plus venir de moi, car moi aussi
je suis fini. Il faut donc qu'une cause, elle même infinie, ait placé
cette idée d'infini en moi, et cette cause infinie, c'est Dieu.
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la preuve par la cause première. Cette preuve est sans doute
la plus simple. Nous savons que nous existons et que nous sommes des substances
pensantes, or quelle est la cause de notre existence ? On peut certes répondre
que c'est nos parents… mais alors il faudrait demander quelle est la cause
de leur existence et ainsi de suite. Puisqu'il est évident que tout
doit avoir une cause et que l'on ne peut remonter à l'infini, nous
devons admettre l'existence d'une cause première qui soit cause
d'elle même (on dit causa sui), et cette cause première, c'est
Dieu.
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la preuve ontologique. C'est Kant qui appellera cette preuve ainsi,
c'est celle qui aura la plus grande postérité : quand nous
pensons à Dieu (même sans savoir s'il existe ou non), nous
imaginons un être infini possédant toutes les qualités.
Or, sans aucun doute, l'existence est une qualité (car , par exemple,
une bonne action accomplie vaut mieux qu'une bonne action simplement envisagée).
Par conséquent si on définit Dieu comme un être possédant
toutes les qualités, il serait contradictoire de lui nier l'existence.
Contrairement aux autres choses (chaise, table…), l'existence est contenue
dans la définition même de Dieu. Celui-ci ne peut donc pas
ne pas être (ce serait contradictoire avec sa définition).
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La véracité divine. Nous avons prouvé que Dieu
existait, reste à savoir ce qu'il est. Or, nous l'avons vu, l'essence
de Dieu, c'est la perfection, l'infini. Il en résulte tout naturellement
que dieu ne peut être méchant (ce qui est une imperfection),
de même il ne peut être trompeur, il ne peut nous induire en
erreur (ce serait preuve de méchanceté). A partir de cette
véracité divine, Descartes va démontrer l'objectivité
de la plupart de nos connaissances.
-
Objectivité des mathématiques. Nous avons vu que nous
avions en nous un certain nombre d'idées innées, qui ne viennent
pas de l'expérience, et qui au contraire sont tout à fait
nécessaires pour qu'une expérience soit possible (il s'agit
des concepts mathématiques, le nombre, le mouvement, l'étendue,
mais aussi certains autres concepts comme la substance…). Or, si ces idées
sont innées, c'est que celui qui m'a créé les a placées
en moi, or ce créateur c'est Dieu. Nous avons vu avec le doute systématique
qu'il se pourrait que ces idées soient trompeuses et que lorsque
nous croyons que 2+2=4, cela ne fasse en fait que 3. Mais cela voudrait
alors dire que Dieu aurait placé des idées en nous avec l'impression
qu'elles correspondent à la réalité sans que cela
soit le cas. Ce serait une forme de tromperie, or nous l'avons vu Dieu
n'est pas trompeur. Par conséquent, les mathématiques et
toutes les connaissances que nous pouvons tirer de nous mêmes sont
objectives et vraies, en tout cas dans la mesure où nous produisons
ces connaissances de manière rigoureuse, c'est à dire (comme
nous l'avons vu) à l'aide d'intuitions évidentes et de déductions
rigoureuses.
-
Objectivité des sciences empiriques. Reste le cas des connaissances
que nous tirons de l'expérience. Là encore, pour les mêmes
raisons que précédemment, l'expérience ne peut être
totalement trompeuse, cela serait preuve d'imperfection divine. Pour autant,
l'erreur existe, comment est-ce possible ? C'est que Dieu nous a donné
des outils pour connaître (la sensation, l'intuition intellectuelle,
la déduction…) qui ne sont pas par eux-mêmes trompeurs, à
condition de s'en servir correctement. Mais il nous a aussi donné
la liberté (et c'est preuve de sa grandeur) et cette liberté,
nous pouvons mal l'utiliser. Ainsi, nous pouvons juger que quelques-uns
est vrai, alors que nous ne le pensons que confusément : c'est alors
que l'erreur est possible. Mais tant que nous restons, comme la méthode
nous l'a enseigné et comme c'est le cas en mathématiques,
dans le domaine de l'évidence, alors l'erreur est impossible. Or,
en ce qui concerne les connaissances qui viennent de l'expérience,
beaucoup de choses en elles sont confuses et non évidentes, comme
la couleur, la chaleur… Les seules choses qui soient vraiment évidentes
dans la sensation, c'est la forme (l'étendue) et le mouvement. Par
conséquent, une connaissance du sensible n'est possible (rigoureusement)
que dans la mesure où elle est mathématisable (ainsi je peux
mettre sous équation le déplacement d'un objet dans l'espace,
ainsi que sa forme, mais je ne peux pas le faire avec sa couleur). Il faut
donc distinguer dans les connaissances sensibles :
-
les qualités premières des choses (leur forme, leur vitesse,
la direction…) qui sont mathématisables (et font donc l'objet de
sciences comme la physique, la mécanique, l'optique…). Ces qualités
existent dans les choses mêmes, cela est garanti par la véracité
divine.
-
les qualités secondes des choses (couleur, odeur, température…)
qui ne sont pas mathématisables, ne sont pas objets de science,
et sont toujours pensées confusément (je ne peux pas dire
avec évidence ce qu'est une couleur (à moins et c'est ce
que font les sciences modernes de la réduire à du mathématique,
à de l'étendue…)). Par conséquent, ces qualités
ne sont pas garanties par la véracité divines, elles ne sont
que subjectives, c'est à dire qu'elles ne sont pas véritablement
dans les choses, mais seulement dans notre esprit. Ainsi, pour reprendre
l'exemple de la couleur, ce n'est pas la tomate qui est rouge, mais au
niveau microscopique, la tomate a une certaine forme, cette forme se répercute
sur les rayons de lumière qui la frappent (en leur donnant une certaine
longueur d'onde), et c'est ensuite notre esprit qui "traduit" cette longueur
d'onde en une sensation de rouge.
CONCLUSION
Il convient de faire la part, chez Descartes, entre ce qui est demeuré,
et ce qui a été abandonné. On peut dire que Malebranche,
Spinoza et Leibniz sont des continuateurs de Descartes. Mêmes si
leurs doctrines sont en apparence très différentes, ils ont
conservé et développé comme fondement la plupart des
grandes intuitions cartésiennes (la subjectivité, le rôle
de Dieu comme origine de la connaissance, le rapport aux sciences nouvelles…).
C'est à partir de Kant que l'héritage cartésien sera
sérieusement remis en cause : critique des preuves de l'existence
de Dieu, de la théorie de l'âme substantielle, de l'intuition
intellectuelle… Pourtant, même si la plus grande part du contenu
des thèses cartésiennes a été rejetée,
beaucoup de ses "révolutions" ont, bien après Kant, influencé
et continuent d'influencer la philosophie : le centrage sur la subjectivité
et l'idée de fondation absolue de la connaissance entre autres.
(c) Quentin CHEVILLON, 1999.