PLATON
 
 
 
 
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INTRODUCTION

Platon est d’une certaine manière le premier philosophe. Certes, il y eut de grands penseurs avant lui : Héraclite, Parménide, les sophistes et surtout Socrate. Mais il est le premier à construire un " système " philosophique, c’est à dire un ensemble cohérent de thèses épistémologiques, ontologiques, éthiques, esthétiques… Il est également le premier, sous l’influence de Socrate, à tenir réellement compte des thèses de ses prédécesseurs, à tenter d’en saisir la logique interne, et à les réfuter rationnellement.

Nous allons tenter une première approche de sa pensée en étudiant successivement :

 
 

I. La théorie platonicienne des Idées.
 
 

La théorie des Idées est la caractéristique fondamentale de la philosophie platonicienne. C'est aussi ce qui, à nos yeux de modernes, paraît le plus aberrant. On considère souvent la théorie des Idées comme une loufoquerie qui n'a plus d'intérêt qu'historique, pourtant elle a joué un rôle important dans toute la suite de la philosophie (fut-ce à titre d'obstacle à éviter), et elle continue à avoir du poids dans la philosophie des mathématiques : un philosophe moderne comme Frege peut être considéré comme platonicien. Plutôt que de la critiquer, nous tenterons donc de montrer (au moins dans un premier temps) les raisons profondes qui ont poussé Platon et d'autres après lui à défendre une théorie en apparence aussi étrange.

En quoi cette théorie consiste-t-elle ? Il n'est pas difficile d'en brosser les grandes lignes. Pour Platon, le monde dans lequel nous vivons, contenant les objets que nous percevons n'est pas le seul monde qui existe. Il existe également un monde des Idées, séparé du monde sensible dans lequel nous évoluons. Ce monde des Idées (comme son nom l'indique) est entièrement composé d'Idées. Qu'est-ce que Platon entend par Idée ? Ce ne sont pas ce que nous désignons généralement par ce terme (on appelle généralement "idée" le produit de notre pensée : une idée n'existe qu'en nous et dans la mesure où nous y pensons). Pour Platon Idée a un sens totalement différent, que l'on pourrait aussi traduire par Essence. Prenons un exemple : nous sommes entourés d'un grand nombre de chaises toutes différentes certaines sont grandes, d'autres petites, en paille, en bois… Pourtant, malgré ces différences, toutes reçoivent le même nom de chaise, preuve qu'elles sont aussi, d'une certaine manière, semblables. C'est cette essence de la chaise, ce qu'il y a d'identique dans toutes les chaises que Platon nomme Idée, ou "chaise en soi". Or, ce qui caractérise Platon, c'est que pour lui, cette "chaise en soi", cette essence de la chaise, existe véritablement dans un monde séparé, indépendant du nôtre : le monde des Idées. Ce monde est donc peuplé de l'Idée de Chaise, de l'Idée de table, mais aussi des Idées du triangle, du Juste, du Beau… Bref, tout ce qui dans notre monde existe en de nombreux exemplaires (chaises, tables, triangles, actes justes, objets beaux…) existe de manière unique, et parfaite dans le monde des Idées.

Il est essentiel de voir que le monde des Idées n'est pas la résultante de l'activité de notre raison. Il existait avant même que les hommes n'existent. C'est bien cela qui paraît farfelu pour nous autres modernes (en effet, nous pensons généralement que ce qui unit, par exemple, les multiples tables que nous voyons, c'est ce que l'on appelle le concept de table, et que ce concept est le produit de notre intelligence qui compare les tables, voit ce qu'il y a d'identique en elles…). Pour Platon, le monde sensible (dans lequel nous vivons) et le monde des Idées existent tous les deux et il sont également indépendants de notre raison.

Avant de hurler à l'incongruité, essayons d'étudier les raisons pour lesquelles Platon a jugé nécessaire de faire intervenir les Idées. Il y a essentiellement deux raisons :

  1. une raison d'ordre épistémologique (qui relève de la philosophie de la connaissance)
  2. une raison d'ordre ontologique (concernant l'Etre en général)
  1. Les raisons épistémologiques de croire en la théorie des Idées

  2.  

     
     
     
     
     
     

    Plaçons nous sur le plan de la philosophie de la connaissance qui se demande : "comment la connaissance est-elle possible ?". Il existe une thèse, très répandue et apparemment très simple qui consiste à dire "la connaissance résulte de la sensation". Cette thèse que l'on appelle empirisme, soutient que la connaissance résulte de l'expérience : en comparant nos sensations entre elles, nous parvenons à découvrir des régularités, des lois, des normes… Ainsi, dans l'exemple de la table, si nous avons vu cent fois certains objets et qu'en comparant ces objets différents, nous constatons qu'ils avaient tous quatre pieds et une planche posée dessus (même si la taille, la matière, la forme…varient), nous en tirons une idée générale à laquelle on peut associer le mot "table".

    Il en va de même pour les propriétés des objets : ainsi nous connaissons la "propriété" qu'ont les objets lourds de tomber quand on les lâche, parce que nous avons vu des dizaines de fois ce phénomène se produire, et que nous inférons que cela doit se produire tout le temps.

    Or, Platon va montrer que certaines connaissances ne peuvent manifestement pas provenir de l'expérience et de la sensation. Le platonisme commence donc par une réfutation de l'empirisme. C'est le cas essentiellement pour les idées mathématiques comme l'idée de triangle ou d'égalité… En effet, le monde sensible dans lequel nous vivons est imparfait : si l'on réfléchit bien, on constatera qu'il n'existe pas dans le monde un seul vrai triangle (même un triangle dessiné à la règle est irrégulier, ses côtés sont imparfaits), ou deux objets absolument identiques. Dans ces conditions, comment puis-je acquérir l'idée de triangle, puisqu'à proprement parler il n'y a pas de triangle dans le monde ? De même, comment puis-je acquérir l'idée d'égalité, puisque tous les objets que je peux voir sont inégaux ?

    La seule manière de rendre compte de nos connaissances mathématiques, consiste à dire qu'il existe un vrai triangle, une vraie égalité (dans un autre monde, un monde idéal) et que c'est par la connaissance de ces Idées que l'on peut par la suite dire de tel ou tel objet qu'il ressemble à un triangle, ou qu'il est presque identique à un autre.

    On le voit, c'est avant tout dans le domaine des mathématiques que Platon met en évidence les insuffisances de l'empirisme et de la sensation. Mais il va ensuite étendre cette théorie à toute la connaissance, y compris celle des chaises, des tables… De fait, le Platonisme a encore des adeptes en philosophie des mathématiques et de la logique (mais plus guère dans le domaine de la philosophie de la connaissance générale).
     
     

  3. Les raisons ontologiques de croire en la théorie des Idées
L'ontologie est la théorie de l'Être en général, elle répond à la question : "Qu'est-ce que l'Être ?" Or, pour Platon, la première manière de définir l'Être, c'est en le distinguant de l'apparence et donc de la sensation. Ainsi, il ne suffit pas de voir un éléphant rose pour que cet éléphant existe, qu'il ait de l'Être. Si l'Être ce n'est pas ce que l'on voit, qu'est-ce que cela peut être ? Il semble qu'il faille, pour qu'on ait de l'Être et pas seulement de l'apparaître, une certaine stabilité, une certaine persévérance dans l'Être. Ainsi, à quoi reconnaît-on que l'éléphant rose n'est qu'une illusion ? à ce qu'il finit par disparaître, il ne perdure pas. Ainsi, l'Être, c'est le stable, le durable, tandis que ce qui devient, ce qui change n'est que du paraître.

Or, comme l'a dit Héraclite, dans le monde dans lequel nous vivons, "tout coule", tout change, rien ne demeure identique à lui même, aussi, en toute rigueur ne devrait-il pas y avoir d'Être dans ce monde. Prenons un exemple qui illustrera ceci : imaginons le corps d'un certain animal ; nous disons bien que cet animal est, et pourtant, si l'on y réfléchit bien, à chaque seconde, cet animal n'est plus le même, les cellules qui constituent son corps meurent et sont remplacées, lui même bouge, change...Comment peut-on dire qu'il y a un Être, alors qu'il n'y a pas un Être. Tout se passe comme si, à chaque instant les être disparaissaient pour en devenir d'autres. Tout ceci, pour Platon n'est pas vraiment de l'Être, car alors il n'y aurait aucune différence entre l'être et l'illusion, l'apparence.

Pourtant, on parle bien de l'Être des choses : c'est qu'elles doivent tenir leur être d'ailleurs, et cet ailleurs, c'est le monde des Idées. L'Idée assure la stabilité des choses, elle est la forme, l'essence de la chose qui perdure en elle à travers le changement. Ainsi, si l'on reprend l'exemple de l'animal, on voit que ce qui fait que l'on peut parler d'un animal, c'est une certaine forme, certains rapports entre les éléments de l'animal (les cellules, les organes) qui ne changent pas, alors même que ces éléments sont en perpétuel changement.
 
 
 
 

II. Les conséquences de la théorie des Idées
 
 

  1. La connaissance

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    Résumons rapidement ce que nous avons vu. Pour rendre compte du phénomène de la connaissance, ainsi que pour distinguer l'Être de l'apparaître, Platon est obligé de poser un monde des Idées, distinct du monde sensible dans lequel nous vivons, peuplé d'Idées qui sont les équivalents idéaux, parfaits et immuables des objets qui peuplent le monde dans lequel nous vivons. Nous allons ici essayer d'approfondir cette thèse et de montrer en quoi elle permet réellement d'éclairer le mécanisme de la connaissance.

    Précisons dès maintenant que Platon utilise largement le mythe pour éclairer ses propos : ces mythes ne sont pas à prendre au pied de la lettre, ils sont un instrument pour nous rapprocher de la vérité.

    Voilà donc comment se présente, dans ses grandes lignes, la théorie platonicienne de la connaissance : Le monde des Idées, parfait et immuable existait avant le monde sensible ; celui-ci en est une copie imparfaite : là où dans le monde des Idées n'existe qu'une Idée parfaite de triangle (par exemple), il existe dans le monde sensible une infinité de triangles particuliers dont aucun n'épuise l'essence du triangle. Dès lors, comment pouvons nous acquérir la notion générale de triangle ? Il faut bien pour cela (puisque, comme nous l'avons vu, la sensation ne suffit pas) que nous ayons accès d'une manière ou d'une autre au monde des Idées. Or cette relation au monde des Idées pose problème, car celles-ci ne sont pas visibles, elles sont hors du monde dans lequel nous vivons. La solution que propose Platon à ce problème réside dans la théorie de la réminiscence.

    Avant de naître, avant que notre âme ne soit associée à un corps, elle a pu contempler le monde des Idées, avec les yeux de l'esprit. Mais au moment de la naissance, elle a tout oublié. Pourtant, lorsque nous contemplons des objets sensibles nous pouvons nous ressouvenir de l'Idée qui leur sert de modèle : c'est le phénomène de la réminiscence. Toute connaissance vraie est donc un souvenir.

    Reste à savoir ce qu'est exactement une Idée. On pourrait la caractériser comme la forme générale d'un objet, une sorte de schéma d'un objet (d'une chaise par exemple). Mais Platon ne s'arrête pas là, car les Idées ne sont pas isolées, elles entretiennent aussi des rapports entre elles : des rapports de participation ou de non participation. En effet, certaines Idées ont une plus grande dignité que d'autres, parce qu'elles en contiennent de nombreuses. Ainsi, l'Idée de meuble contient celles de chaise, de table, de placard… tout comme l'Idée de chaise contient toutes les chaises particulières qui nous entourent. Cette relation dite de participation (l'Idée de chaise participe de celle de meuble) constitue véritablement la connaissance.

    Ainsi pour connaître un objet particulier (par exemple une chaise), il faut, certes, accéder à l'Idée de chaise, mais ensuite, il faut aussi découvrir (toujours par réminiscence) les liens qu'entretient cette Idée avec les autres Idées (celles de meubles, de tabouret, de posture assise, de repos…). Si bien qu'une connaissance, si simple soit elle, finit par s'étendre à la connaissance de tout le monde des Idées, de toutes les Idées et de toute les relations entre les Idées.

    Pour finir, on voit que la connaissance va prendre la forme d'une pyramide, avec à sa base un nombre infini d'objets particuliers, puis des Idées proches des objets sensibles (chaise…), puis encore des Idées de plus en plus abstraites (meuble…), jusqu'à arriver au sommet de la pyramide à l'Idée qui ne participe d'aucune autre Idée, et dont toutes les autres participent : l'Idée du Bien ou de l'Un. Faire de la philosophie ne consistera en rien d'autre que chercher à connaître cette pyramide de la connaissance avec ses Idées et ses articulations.
     
     
     
     

  3. Méthode et nature de la Philosophie

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    La philosophie est une tâche complexe. Certes, son but ultime consiste en la connaissance de l'Idée du Bien (en la contemplation de cette Idée, plutôt, puisqu'on ne peut pas la connaître à partir d'une autre Idée), et des autres grandes Idées (le Beau, le Juste…). Mais cette connaissance est le résultat de l'activité philosophique, et le chemin à parcourir est long avant d'y arriver.

    En effet, notre regard est d'une certaine manière obscurci par le monde sensible dans lequel nous vivons. Au lieu de nous élever des choses particulières à leurs Idées puis de ces Idées aux Idées les plus nobles, nous restons obnubilés par le monde sensible, et nous n'acquérons des connaissances que par expérience : connaissances approximatives et insuffisantes. Platon illustre ceci par l'allégorie de la caverne : il faut imaginer l'humanité vivant dans une caverne. A l'entrée de cette caverne sont disposés des objets, et derrière ces objets, une torche. Les hommes de la cavernes peuvent soit rester dans la caverne et se contenter de connaître les ombres des objets projetés sur le fond de la caverne, soit en sortir et contempler les vrais objets dont les ombres ne sont qu'une imparfaite copie. Il en va de même du monde sensible et du monde des Idées : soit l'on se contente des objets sensibles, faciles d'accès, mais imparfaits. Soit on fait un effort de "conversion", et l'on se tourne vers le monde des Idées, plus difficile d'accès, mais parfait.

    Dès lors, tout l'effort du philosophe consistera, dans un premier temps, à s'affranchir des illusions et des fausses opinions résultant du monde sensible. ce n'est qu'en prenant conscience de la fausseté de toutes les opinions que nous pensions vraies que nous pourrons effectuer cette conversion du regard et nous tourner vraiment vers le monde des Idées. C'est à cela que servent les dialogues et l'ironie socratique. Socrate pose des questions du type "qu'est-ce que la vertu", sans y répondre lui même, il attend les réponses qui ne sont que des opinions fausses inspirées du monde sensible et s'emploie à montrer leur insuffisance. Ainsi peu à peu, ses interlocuteurs sont obligés d'abandonner leurs croyances, de se détourner du monde sensible et de se tourner vers le monde des Idées (qui, ne l'oublions est contenu en nous sous formes de souvenirs effacés mais toujours réactualisables).
     
     

  5. L'ontologie (théorie de l'Être)

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    Comme nous l'avons dit plus haut (cf. les raisons ontologiques de croire en la théorie des Idées), l'ontologie tente de répondre à la question "qu'est-ce que l'Être". Être est à entendre ici au sens général : une chaise est un être, eu homme, de l'eau, une ville sont des êtres : tous ont donc en commun (malgré toutes leurs différences) l'Être. Mais qu'est-ce que cet Être ? En d'autres termes, comment différencier l'Être du non-Être ?

    Or, pour Platon, ce qui caractérise le non-Être, c'est son inconstance : les illusions, les apparences qui ne sont pas, ne demeurent pas non plus. L'Être au contraire, c'est ce qui dure, c'est le stable, le durable. Cette conception n'est pas complètement étrangère à nos intuitions quotidiennes : que dirions nous si nous voyions un objet apparaître puis disparaître subitement ? Nous serions sûrement tentés de dire que ce n'était qu'une illusion, du non-Être, ou alors nous chercherions aux alentours pour voir si nous ne retrouvons pas l'objet, mais nous ne pouvons admettre qu'un être disparaisse simplement, et continuer à l'appeler être.

    Pourtant, tout autour de nous, les objets sont instables. Dans notre monde en devenir, les choses changent sans cesse, les atomes dont elles sont faites bougent, ne sont plus les mêmes… Il semble donc qu'il n'y ait aucune stabilité dans le monde sensible, que tout ne soit qu'apparence succédant à d'autres apparences, une succession d'images toutes différentes les unes des autres, une suite sans fin d'apparitions et disparitions… Bref, il semble que le monde sensible ne mérite pas qu'on l'appelle Être.

    En revanche, le monde des Idées, constitué d'Idées fixes et immuables mérite au plus haut point qu'on le désigne par l'Être.

    c'est finalement en tant qu'il participe du monde des Idées que notre monde sensible va mériter l'Être. En effet, une chaise à un instant t2 n'est peut-être plus du tout la même que ce qu'elle était à l'instant t1 (les atomes qui la constituent ont changé, elle-même peut-être s'est déformée…), mais à l'instant t1 comme a l'instant t2, elle participe de l'Idée de chaise, et c'est cette participation à une Idée parfaite et stable, qui constitue l'Être d'un objet sensible. Ainsi, l'Être d'un objet n'est rien d'autre que son essence, c'est à dire ce qui, en lui, ne change pas avec le temps, sa forme générale (ainsi, un homme peut lever les bras, grandir, courir…il n'est jamais le même, pourtant, il a toujours la forme d'un homme, et c'est pour cela qu'on peut dire qu'il est, et non qu'il n'est qu'apparence, illusion, non-Être…)
     
     

  7. L'éthique et la politique

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    Jusqu'ici, nous nous sommes intéressés à la science, à la connaissance, à ce qui est. A présent, il faut franchir un pas, pour parler de ce qui doit être, des valeurs. Sur le plan de l'individu, ce problème des valeurs prend le nom d'éthique. L'éthique cherche à répondre aux questions : "Que dois-je faire ?", "Quel type de vie mener ?" ou "Quel est le souverain Bien ?". Sur le plan de la collectivité, de la société, le problème de la valeur s'appelle politique. Celle-ci cherche à répondre à des questions du type : "Quelle est la meilleur cité possible ?", "Quelle doit être la forme d'une cité pour qu'elle soit juste" ou "Comment gouverner la cité ?".

    Ces deux problèmes sont étroitement liés, et nous verrons qu'ils ne sont que l'application d'un même principe à deux domaines différents. Or, ce principe est à trouver dans le monde des Idées. En effet, s'il y a une Idée de la chaise, ou du meuble, il y a aussi les Idées du Bien , du Juste… et c'est sur ces Idées que doivent prendre modèle l'homme qui désire être vertueux, et le gouvernant qui veut rendre sa cité juste. A cet égard, on voit que la Philosophie mène à la vertu et à la justice, car c'est par la contemplation que l'on peut acquérir ces Idées.

    Pourtant, cela ne suffit pas : il reste à déterminer le contenu de ces Idées, car comme nous l'avons vu, les Idées sont en relation les unes avec les autres. Quel est donc le contenu des Idées de Vertu et de Justice ?

    Pour le savoir, il faut considérer ce qu'est un homme et ce qu'est une cité. Pour Platon, l'Homme est un corps associé à une âme, ou plutôt, à trois âmes : une âme du désir, qui recherche les plaisir du corps, une âme du cœur, du courage qui recherche la gloire, et enfin une âme intellectuelle, qui recherche la raison et la connaissance. ces trois âmes ayant de objets différents sont en perpétuel conflit lorsqu'il s'agit de décider ce qu'il faut faire. Il en va de même de la cité, qui elle est divisée en classes sociales (philosophes, guerriers, artisans…). Là encore, chaque classe (et même chaque individu) a son intérêt propre qui n'est pas celui des autres. Il en résulte que l'Homme comme la cité sont éclatés, en perpétuel conflit, perpétuel mouvement.

    Or, comme nous l'avons vu, les Idées, elles, sont fixes et immuables, et de manière générale, on ne peut parler d'un objet (qu'il s'agisse d'une table ou bien d'un homme ou d'une cité) qu'en tant qu'il a de la stabilité, de l'unité. Il en résulte que la Vertu ne sera rien d'autre, pour l'homme, que l'unification et la pacification de ses trois âmes qui devront parler d'une seule voix et ainsi atteindre cette stabilité qui caractérise l'Idée. La cité Juste, de même, sera celle où les classes et les individus, loin de s'opposer agissent en harmonie dans l'intérêt de l'unité de la cité. Finalement, le Bien, c'est l'unité du divers, tout comme l'Idée du Bien est l'Idée unificatrice des autres Idées. La Vertu est donc l'unité dans l'individu, tandis que la Justice est l'unité dans la cité.

    Comment cette unité se réalise-t-elle concrètement ? En ce qui concerne l'individu, un des grands principes de Platon (qu'il tient de Socrate), est que "Nul ne fait le mal volontairement", c'est à dire qu'il suffit de savoir ce qu'est le bien pour avoir envie de le faire. A l'inverse, si quelqu'un est méchant, il ne s'en rend pas compte : ce n'est que par ignorance qu'on peut faire le mal (toujours en croyant faire le Bien). Cela veut dire qu'être vertueux revient à donner la priorité à l'âme intellectuelle qui, en quelque sorte, fixera le cap, en donnant équitablement aux deux autres âmes. Être vertueux, c'est donc agir raisonnablement, en suivant la mesure.

    Dans le domaine politique, le premier geste de Platon consiste à s'inspirer de l'éthique. Il faudrait donc, à la tête de la cité un roi-philosophe qui, les yeux fixés sur l'Idée du Juste, de l'unité dans la cité, serait à même de gouverner la cité. Pourtant, les choses s'avèrent rapidement plus compliquées, car il ne suffit de connaître la cité idéale, encore faut il réaliser cette Idée dans la cité imparfaite des hommes, et cela demande un autre type de connaissance, une connaissance des imperfections des hommes, des limitations de leur nature… ici, le roi-philosophe doit se faire artisan, tout comme le fabriquant de chaussure, tout en ayant à l'esprit l'Idée de chaussure doit prendre en compte la qualité du cuir, ses imperfections… D'autre part, il s'avère délicat de mettre en place une telle monarchie philosophique. En effet, aux yeux du vulgaire, elle n'est guère différente de la tyrannie qui est le pire régime possible. Aussi, Platon penche-t-il finalement pour la démocratie, qui certes est de loin inférieure à la monarchie philosophique, mais ne risque pas de se révéler être une tyrannie.
     
     

  9. L'esthétique (la philosophie du Beau)
L'esthétique platonicienne cherche à répondre à la question "Qu'est-ce que le Beau", elle s'intéresse également aux problèmes liés à l'art. Là encore, la solution à la question "Qu'est-ce que le Beau ?" est à chercher dans le monde des Idées, c'est l'Idée du Beau qu'il faudra tenter de déterminer.

Or, comme pour la Vertu ou la Justice, c'est l'unité qui va caractériser l'Idée du beau, mais cette fois-ci, il s'agira de l'unité formelle d'un objet, de l'unité de son apparence. Ainsi, une belle musique est une musique où chaque note a sa place et est à sa place, où il y a un rapport régulier entre chaque note, où règne l'harmonie.

Le rôle de l'art est plus complexe. L'art est imitation : imitation des formes, des actions…Mais on voit bien que pour la musique, par exemple, il est plus difficile d'attribuer un modèle à l'art. Aussi, il faut approfondir la notion d'imitation : à travers une forme sensible, c'est l'âme elle-même que l'art cherche à imiter. Les styles artistiques correspondent aux différents états d'âme possibles : une musique harmonieuse et régulière imite l'âme du sage vertueux, son unité d'âme, une musique majestueuse, impressionnante imite l'âme du brave, une musique rapide et folle imite l'âme de l'homme attiré par les plaisirs terrestres…De même, le plaisir que l'on ressent en contemplant une œuvre d'art correspond aux plaisirs de ces différentes formes d'âmes (plaisir effréné, exaltation guerrière, joie provoquée par la sagesse…) Seules les œuvres imitant une âme sage et vertueuse sont belles, car leur unité est celle de l'âme qu'elles imitent, ce qui ne veut pas dire qu'elles soient les seules à provoquer du plaisir : le Beau n'est pas nécessairement l'agréable.

Cela ne poserait pas de problème si l'œuvre d'art n'avait pas l'étrange propriété d'entraîner celui qui la contemple. Ainsi, une œuvre guerrière incite au courage, une œuvre belle incite à la sagesse et une œuvre vive incite aux plaisirs des sens, à la bassesse. On comprend alors pourquoi Platon se méfiait de l'art et de son pouvoir, ce qui lui faisait dire que dans la cité idéale, l'art devrait être sous le contrôle du roi-philosophe, et un moyen d'éducation à la philosophie et au courage.
 
 
 
 

III. Portée et limites du platonisme
 
 

A bien des égards, la philosophie de Platon nous paraît aujourd'hui étrange et farfelue, pourtant, elle fut l'inspiratrice de bien des théories contemporaines, il convient donc de mettre en évidence la postérité et la puissance du platonisme, en même temps que ce qui semble être ses limites (ce qui ne peut ici qu'être ébauché).

 
 
 
 
 (c) Quentin CHEVILLON, 1999.