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Introduction
I. L'idée d'une critique de la raison
1) la conception
cartésienne de la raison
2) les contradictions
de la métaphysique et la nécessité d'une critique
de la raison
II. L'idée d'une philosophie
transcendantale
1) Chose en soi
et Phénomène
a)
Le problème de la vérité en général
b)
Le problème des "vérités éternelles"
c)
Distinction Choses en soi / Phénomènes
2)
Vérité et objectivité
3) Une
philosophie transcendantale
a)
Les critères de cohérence sonnailles a priori ou a posteriori
?
b)
Comment obtenir la liste de critères de cohérence a priori
?
4) Plan raisonné
de la Critique de la raison pure
Kant est sans conteste un des philosophes modernes
les plus importants. Il inaugure (avec Descartes) la philosophie moderne,
et ses écrits couvrent la plus grande partie du champ philosophique
(philosophie de la connaissance, épistémologie, ontologie,
métaphysique, morale et politique, esthétique, religion...).
Par ailleurs, il a particulièrement bien
vieilli (pour un auteur du XVIIIeme siècle), bien mieux que d'autres
grands philosophes qui lui ont succédé comme Hegel. Si bien
que dans bien des domaines, il est possible aujourd'hui de se dire kantien.
De fait, c'est le plus souvent par rapport à Kant que l'on se positionne
dans l'échiquier philosophique.
Pourtant, son abord est malaisé. D'une part
parce que son style (parfois lourd et technique) n'est pas toujours compréhensible.
D'autre part, parce que le contenu même de ses thèses peut
dérouter. En particulier, la distinction centrale qu'il introduit
entre "chose en soi" et "phénomène" choque le sens commun.
Plutôt que de chercher à rentrer dans
les détails du kantisme, nous essaierons donc d'en exposer les idées
fondamentales en commençant par l'oeuvre qui fonde toutes les autres
: la critique de la raison pure.
I. L'idée d'une critique de la Raison.
Pour bien saisir le point de départ de Kant, il faut partir de Descartes :
1) La conception cartésienne de la Raison.
La théorie cartésienne de la connaissance peut se caractériser par une confiance inconditionnelle en la raison. Fondamentalement, notre raison ne peut pas nous induire en erreur. Certes, il nous arrive de nous tromper, mais c'est parce que nous avons mal usé de cette raison (lorsque nous commettons une erreur de raisonnement, ou lorsque nous partons de principes douteux). La clef de cette confiance en la raison est l'évidence. Si nous considérons un principe comme évident, alors il ne peut être faux (comme les principes suivants : je pense, je suis ou tous les principes mathématiques). D'autre part, si partant de ces principes évidents nous effectuons des déductions rigoureuses (c'est à dire elles-mêmes évidentes) alors nous ne pouvons jamais nous tromper. La raison est donc un guide sûr pour déterminer ce qui est et ce qui n'est pas (pourvu qu'on s'en serve correctement).
2) Les contradictions de la métaphysique et la nécessité d'une critique de la raison.
Cette confiance en la raison va pourtant être
ébranlée par les contradictions de la métaphysique.
Contrairement aux autres sciences, la métaphysique en partant de
principes évidents et en effectuant des déductions rigoureuses
va produire des thèses contradictoires.
Par exemple, en partant du principe suivant : "Tout
a une cause", on pourra démontrer (en simplifiant un peu) que Dieu
existe et que Dieu n'existe pas :
THÈSE : Dieu n'existe pas, car s'il existait, il devrait
avoir une cause (tout a une cause). Il faudrait donc qu'il existe quelque
chose avant Dieu ce qui est impossible.
ANTITHÈSE : Dieu existe, car si l'on n'avait qu'une série
infinie de causes et d'effets, il faudrait encore admettre l'existence
d'un être extérieur à cette série qui soit la
cause que cette série existe (plutôt que rien) : c'est Dieu.
Le principe de causalité est évident et les démonstrations sont rigoureuses, pourtant les résultats sont contradictoires. Et la métaphysique contient d'autres exemples de ce type qui montrent que contrairement à ce que pensait Descartes, on ne peut pas faire confiance aveuglément à la raison.
La Critique de la raison pure va consister
à étudier la raison pur déterminer dans quels cas
on pourra lui faire confiance, et dans quels cas il faudra s'en défier
(comme en métaphysique). Cela implique que l'on comprenne le fonctionnement
de notre faculté de connaître.
I. Idée d'une philosophie transcendantale.
Là encore, la conception qu'a Kant de notre faculté de connaître peut se comprendre par opposition à la conception cartésienne. C'est en particulier autour de la notion de vérité que va se jouer le débat.
1) Chose en soi et Phénomène.
a) le problème de la vérité
en général.
Pour Descartes (et pour toute la tradition), la vérité,
c'est l'adéquation d'une idée à une chose. Cela veut
dire que nous avons une idée vraie si elle est conforme à
ce dont elle est l'idée (par exemple, l'idée que je me fais
d'une maison sera vraie si la maison est conforme à cette idée).
L'idée est donc conçue comme une copie de la chose
qui est vraie si elle est fidèle et fausse si elle ne l'est pas.
Or, cela pose un problème, car comment saurai-je
si mon idée est vraie ou fausse ? Pour cela, il faudrait que je
la compare à la chose dont elle est l'idée. Mais c'est impossible,
car je n'ai pas accès aux choses mêmes, seulement à
des idées. Ainsi, je peux bien comparer l'idée que je me
fais de la maison à un certain moment à celle que je m'en
fais plus tard, mais je ne peux pas comparer cette idée à
la maison elle-même.
Dès lors, il semble bien que la notion de
Vérité n'est plus aucun sens.
b) le problème des "vérités éternelles".
Il en va de même pour ce que Descartes appelait "vérités éternelles", comme les principes mathématiques ou encore le fait que "tout a une cause" et d'autres principes qui paraissent évidents. Ce n'est pas parce que quelque chose me paraît évident que ça existe réellement. Comment, du fait qu'il me paraît évident que tout a une cause, pourrais-je déduire que réellement tout a une cause. Là encore, il m'est impossible de comparer mon idée d'évidence et les choses mêmes. Je ne peux comparer que des idées entre elles.
c) distinction Choses en soi / Phénomènes.
Dès lors, nous sommes obligés de reconnaître
qu'il existe deux domaines totalement séparés : les choses
qui existent "en dehors de moi" que Kant appelle choses en soi,
et mes idées que Kant appelle Phénomènes.
Or, puisqu'il m'est impossible de comparer les phénomènes
et les choses en soi, il faut bien admettre que les choses en soi sont
inconnaissables et que seuls les phénomènes sont quelque
chose pour moi.
A partir de ce point, deux attitudes sont possibles
: la première consiste à céder au désespoir.
Si on ne peut pas connaître les choses en soi, alors toute connaissance
est illusoire, et la vie au fond n'est qu'un rêve. Kant choisira
la voie inverse. Il va montrer qu'il est possible de reconstruire toute
une philosophie de la connaissance, de la vérité, de la science...
sans sortir du champ des phénomènes. Cela veut dire qu'on
n'a pas besoin de la chose en soi.
Il peut paraître contradictoire de prétendre
se passer de la chose en soi. En effet, si l'on se cantonne aux phénomènes,
comment fera-t-on la différence entre la réalité et
le rêve, le faux et le vrai...? En d'autres termes, comment faire
le tri parmi nos idées (nos phénomènes) entre celles
qui sont vraies, réelles et celles qui sont fausses, illusoires
?
La solution de cette énigme, c'est la cohérence.
Prenons un exemple : imaginons que nous voyions un éléphant
rose apparaître, nous dire bonjour puis disparaître comme il
est venu. Nous penserons certainement qu'il n'était pas réel
mais une illusion. Comment le savons nous ? Certainement pas parce que
nous avons comparé notre idée de l'éléphant
rose à la chose en soi, on voit bien que c'est impossible. Mais
parce que cette apparition ne nous a pas paru cohérente.
Elle n'est pas cohérente avec ce que nous savons des éléphants
(qui sont gris et ne parlent pas), mais surtout, elle n'est pas cohérente
parce qu'elle contredit une loi incontournable voulant que rien ne puisse
apparaître de rien ou disparaître totalement et ce, qui plus
est, sans cause.
On voit ainsi que la seule manière de distinguer
entre ce qui est vrai et ce qui n'est qu'apparence, c'est de faire un partage
au sein même des phénomènes entre ceux qui sont
cohérents et ceux qui ne le sont pas.
Par cette activité (inconsciente) de l'esprit,
nous conférons à certains phénomènes de l'objectivité
(c'est à dire que nous les pensons comme des objets réels)
tandis que d'autres (les incohérents) demeurent subjectifs
(ils ne sont que des illusions, des choses que je vois mais que les autres
ne voient pas).
Il faut bien comprendre que nous ne parlons pas
ici des choses en soi. C'est au sein même des phénomènes
que nous distinguons les phénomènes cohérents (objectifs)
et les incohérents (subjectifs). Pour prendre une image (qui est
approximative) nous faisons toujours un rêve (puisque nous n'avons
pas accès aux choses en soi) mais si ce rêve est cohérent,
alors nous pouvons considérer que ce rêve cohérent
est notre réalité objective (ce qui est impossible s'il est
incohérent). En revanche, il nous sera toujours impossible de dire
s'il existe quelque chose "en dehors de nous" qui correspond ce rêve.
C'est ce retournement que Kant appellera "Révolution
copernicienne". Ce terme désigne à l'origine l'acte par
lequel Copernic est passé d'un modèle où le soleil
tourne autour de la terre à un modèle où la terre
tourne autour du soleil.
Ici, cela désigne le passage d'un modèle
où le sujet connaît en "imitant" par ses idées les
choses en soi, à un modèle où les phénomènes
ne peuvent gagner leur objectivité que s'ils se conforment aux critères
de cohérence de l'esprit (et ce sans avoir besoin de savoir
s'il existe des choses en soi correspondant à ces phénomènes.)
3) Une Philosophie transcendantale.
On le voit, la notion clef ici est celle de critère de cohérence. Quels sont ces critères, quelle est leur origine et leur portée, comment les découvrir ? Ce sont les questions qui occupent la majeure partie de la Critique de la raison pure.
a) les critères de cohérence sont ils a priori ou a posteriori ?
Ici, c'est aux empiristes (et en particulier Hume)
que Kant s'oppose. Prenons l'exemple d'un de ces critères de cohérence
: le principe de causalité : "rien n'arrive sans cause". Pour Hume,
nous acquérons ce principe a posteriori, c'est à dire
empiriquement. Cela veut dire qu'en observant la nature, nous y
remarquons des régularités (comme par exemple : il semble
qu'à chaque fois que je lâche un objet, il tombe). Ce type
d'observations étant répété un grand nombre
de fois, nous finissons par nous convaincre que rien n'arrive sans cause.
Selon la conception empiriste, on le voit, les grands
critères de cohérence qui nous permettent de décider
si une représentation peut être objective ou si elle n'est
qu'une illusion, résultent de l'habitude. A ce titre, ils
sont contingents, c'est à dire que rien ne prouve qu'il ne peut
y avoir des exceptions à ces règles. Ainsi, on ne peut jamais
être certain qu'on ne trouvera pas un jour un événement
qui n'a pas de cause.
Kant s'oppose à cette origine empirique, a posteriori des critères de cohérence. Pour lui, ils doivent être a priori, c'est à dire précédent toute expérience (je sais que tout doit avoir une cause quand bien même je n'en aurais jamais vu une). Pour défendre cette thèse, il y a deux arguments :
1° L'existence (qu'on ne peut que constater) de certaines connaissances absolument nécessaires et universelles comme les mathématiques ou la physique pure. Si l'on prend l'exemple des mathématiques, on ne pourra pas dire que la proposition : "La somme des trois angles d'un triangle est égale à deux droits" est contingente, et pourrait un jour, au gré des observations, se révéler fausse. Les mathématiques doivent donc précéder toute connaissance empirique, elles sont a priori. Il en va de même des lois de la physique pure comme "tout a une cause" ou "tout est substance ou accident d'une substance"...
2° Au delà de cet argument de fait, Kant montrera que ces connaissances a priori que nous possédons toujours déjà, sont elles-mêmes nécessaires pour nous permettre d'autres connaissances à partir de l'expérience. Il en résulte que ces critères de cohérence ne peuvent être eux-mêmes tirés de l'expérience.
b) Comment obtenir la liste de ces critères de cohérence a priori ?
Suivant les deux arguments exposés ci-dessus, deux méthodes cohabiteront dans la Critique de la raison pure :
1° Faire la liste de toutes les connaissances que nous jugeons nécessaires, indubitables et universelles (ce que Kant appelle des jugements synthétiques a priori) comme les mathématiques, le principe de causalité... car si elles sont nécessaires, elles sont forcément a priori.
2° Étudier dans le détail comment nous pouvons acquérir des connaissances en général (y compris par l'expérience) et voir quelles connaissances implicites déjà existantes cette acquisition nécessite. Ces connaissances précédant toute expérience seront a priori.
4) Plan raisonné de la Critique de la raison pure.
Le projet Kantien sera donc le suivant :
1. Faire un recensement exhaustif de tous nos "critères de cohérence"
a priori, ce qui se fera :
a. Dans l'esthétique transcendantale où
Kant montre que le temps et l'espace (et partant les mathématiques
qui étudient comment une chose peut nous apparaître dans ces
dimensions) sont des critères a priori de la cohérence de
toute intuition possible
b. Dans l'analytique transcendantale où
Kant montre que les catégories (c'est à dire la physique
pure à laquelle appartient, entre autres, le principe de causalité)
sont les critères a priori de la cohérence de toute pensée
conceptuelle.
Cela forme le projet , c'est à dire où l'on recherche
les conditions de possibilité a priori de toute connaissance.
2. Juger de la portée et de la valeur de ces critères
de cohérence. Cela se fera dans la Dialectique transcendantale
où Kant montrera que la métaphysique est impossible car
elle utilise des "critères de cohérence" a priori de façon
inappropriée.
A venir, étude détaillée de la CRP...